VILLAGE PEOPLE, GOOS. Portraits d'habitants du village de Goos, Landes, France

VISAGES CHALOSSAIS, par Marie Weber*

Depuis ses origines, la photographie a toujours été soupçonnée d’être une technique plutôt qu’un art à part entière. La raison de cette méfiance porte sur la fonction des images produites par la photographie, qui peuvent relever aussi bien de la réalité, comme dans le cas de reportages ou de commandes, que de l’acte créatif, comme dans les montages photographiques. La fonction documentaire, profondément liée au réel que le photographe utilise comme matière première, vient troubler le rapport que le spectateur entretient avec l’image photographique. Certains artistes photographes ont choisi, dans l’entre-deux-guerres, d’adopter un style documentaire : ils proposent ainsi des clichés qui prétendent capter le réel tout en en proposant une interprétation subtile. C’est dans cette filiation que se situe le travail de Jean Hincker réalisé à Goos.

Les portraits rapprochés s’appuient sur un cadrage serré, un arrière-plan neutre sur lequel se détache le modèle : c’est ici le visage, l’individu proprement dit, qui est mis en avant. L’absence de fond, élément hérité du portrait peint, produit un effet intemporel et universel : sans autre information et pour peu qu’on ne connaisse pas le modèle, on ne saurait identifier ni Goos, ni la Chalosse, et on observe ainsi des hommes et des femmes qui ne disent rien d’autre que leur propre existence en tant qu’êtres humains.

Les couples, comme plus loin les portraits en situation présentent les modèles dans un environnement identifiable : l’image se construit autour de la forme de l’individu mise en place par la pose, mais aussi du contexte dans lequel le photographe l’insère. Ce contexte (le fond) enrichi le sens de l’image qui en dit plus qu’elle n’en montre, et sollicite notre réflexion. Ce type d’image induit notre regard et peut même aller jusqu’à le manipuler en nous imposant un contexte que le modèle ne maîtrise pas et dont le spectateur ne peut vérifier la véracité. C’est ici que l’on comprend que « dans la fabrique du portrait photographique, on n’a jamais un seul sujet humain mais toujours deux : il n’y a pas un regard unique mais deux regards qui s’éprouvent réciproquement. » Celui du modèle et celui du photographe.

Enfin, les portraits de groupes, dont l’archétype fut d’abord la photo de mariage puis la photo de classe, donnent une image dynamique des individus en conjuguant le fond et la pose des modèles.

Les portraits des gens de Goos saisis par l’appareil photographique de Jean Hincker deviennent pour le spectateur des visages familiers. Le même sentiment d’intimité que celui qui nous envahi en découvrant les objets conservés au Musée de la Chalosse émerge lorsque l’on prend le temps de les observer. « Village people », c’était un clin d’œil amusant pour évoquer le mélange des types sociaux que le projet photographique ne manquerait pas de mettre en évidence mais ce clin d’œil suggère aussi que ce seul objectif serait peut-être un peu réducteur... En effet, rapprochés ou plus lointains, seuls ou accompagnés, les visages capturés par l’objectif racontent aussi la vie de village, le milieu rural, la Chalosse. A la fois terroir, territoire et paysage, la Chalosse ne peut être appréhendée de manière fermée et définitive : territoire mouvant, paysage en évolution, terroir hérité par transmission orale, on n’en saisit véritablement l’essence qu’à travers ses habitants, les chalossais eux-mêmes.

*Marie Weber, commissaire de l’exposition « Village People, Goos » au Musée de La Chalosse


Un hommage à Diane Arbus par Jean Hincker

J'ai voulu dans cette série montrer l'intemporalité de la vie rurale. La beauté cachée
- kitch ou baroque – de la vie qui se répète, de l'instant en perpétuel recommencement...
Et les habitants du village de Goos se sont prêtés au jeu avec toute cette dignité que l'on retrouve dans la campagne. L'exposition qui résulte de cette résidence d’artiste a pour objectif de témoigner d’une vie rurale peu représentée et pourtant très riche en matière de vie sociale. Mon travail a consisté à m’immerger dans le quotidien des gens du village, tous milieux confondus, et à en retirer des images fortes à travers des portraits réalisés chez eux ou dans leur environnement proche. Le choix, aléatoire, s’est porté sur une cinquantaine d’habitants de la Commune de Goos.
Sans rechercher une représentativité rigoureuse, j’ai tenté d’évoquer toutes les couches sociales ainsi que toutes les tranches d’âges …
Des portraits en gros plan alternent avec des scènes plus élargies prenant en compte les espaces de vie. En effet, m’éloignant du reportage traditionnel – j'ai fait poser tous mes modèles et j’ai organisé les séances photo – ce travail s’inscrit davantage dans le genre documentaire contemporain.
Ce qui fonde la nature de la Photographie, c’est la pose, disait Roland Barthes.
Toutes les prises de vue ont été exécutées avec l’accord écrit des modèles choisis.

Jean Hincker, 2009