FORÊT DE GASCOGNE: L'ESPRIT DE LA FORÊT

PROTECTORAT

Pourquoi un livre et une exposition sur une forêt qui, aux dires de bon nombre de touristes, n’est constituée que de pins tous identiques les uns aux autres ? Les témoignages de certains visiteurs qui traversent trop hâtivement le massif forestier landais se suivent et se ressemblent. On y retrouve souvent les qualificatifs : monotonie, répétition, uniformité.
Et pourtant les gens qui connaissent bien cette étendue démesurée (environ 1 166 000 hectares) ne sont pas d’accord. Les promeneurs attentifs, – contemplatifs ou chasseurs – qui pratiquent cette forêt utilisent d’autres mots pour qualifier cet environnement unique en Europe : Beauté, diversité, délicatesse, harmonie et richesse.

Mais aussi le flâneur imprudent peut découvrir une nature dangereuse et sournoise.
En effet le doute s’installe rapidement quand vous parcourez des heures durant les pare-feu
des grandes Landes sans voir habitats ou âmes qui vivent. Il ne faut pas être claustrophobe
quand l’horizon se bouche de tous les cotés, quand les pins, sombres et inquiétants vous ceinturent et font barrage à la lumière.
Cette forêt insolite et avare de sensationnel sait aussi devenir menaçante…
Au fil de ces longues ballades qui ont rythmés ces cinq dernières années, j’ai laissé mon regard s’accoutumer à cette végétation crée et gérée par l’homme. La régularité apparente de la flore gasconne (la forêt de Gascogne est peuplée à
80 % de pins maritimes et à 10 % de chênes) m’a demandé une attention particulière, de plus en plus aiguë pour ne rien rater du spectacle.

Délibérément je me suis intéressé à la vie végétale abandonnant la faune aux photographes animaliers. J’ai cherché la beauté cachée derrière ces pins maritimes tellement envahissants qu’ils en devenaient arrogants. Cet arbre, présent depuis des temps immémoriaux dans cette région s’étend maintenant – par la volonté de l’homme – sur près des trois quarts de la superficie du département des Landes.
Ce résineux qui a changé le climat de la région et a asséché les landes marécageuses et insalubres, qui a stabilisé le terrain sableux et enfin a fait disparaître les maladies ravageant toute la région –comme le paludisme, est longtemps resté ignoré pour sa beauté intrinsèque. Créée pour être utile et pour servir l’homme, la forêt landaise est restée, quoique formant le plus grand massif



forestier d’Europe, une forêt effacée et modeste. Elle ne se dévoile qu’à celui qui passe du temps avec elle, qui reste vigilant et attentif. Et qui lui reste fidèle. A force de patience, la couleur et la plastique se sont révélées dans mes photographies.

Ce patrimoine végétal devenu « nature-refuge » pour de nombreux créateurs – Bernard Manciet, Jean Echenoz, Lydie Arrickx et beaucoup d’autres s’en sont imprégnés – m’est devenu indispensable voire essentiel aussi bien dans ma vie quotidienne que dans mes projets et mes choix artistiques. L’influence de cet habitat végétal sur ma façon d’appréhender le monde rural s’est avérée déterminante.
La forêt s’est transformée en abri où l’on oublie le quotidien pour s’attacher à la magnificence de l’endroit. Un refuge où la végétation, sous la houlette de l’homme, cherche son autonomie, son indépendance. Un endroit qui vous protège du monde extérieur.

La forêt, placée sous «protectorat» humain, vit sa vie. Elle a trouvée un rythme et
une force spirituelle qui lui est propre.

Surmontant les aléas climatiques ( tempête de 1976, gel de 1985 ), les attaques parasitaires (insectes et champignons) et surtout les incendies (de 1940 à 1950, 400 000 hectares ont brûlé), la nature – comme une espèce de peau – soigne ses plaies et se reconstitue à chaque fois.
Pas rancunier, le pin qui offre son bois, sa résine et son élégance. Comme un dandy en mal de reconnaissance il se multiplie à l’infini, laissant peu de place aux chênes et aux champs de maïs qu’il côtoie.

La forêt est soucieuse de son accueil et de sa santé : elle s’est dotée de milliers d’hectares de pare-feu. Grâce à ces avenues de terre et de sable le flâneur peut déambuler aisément puis s’enfoncer dans une forêt accessible, et regarder, réfléchir, prendre des photos…
Mes images tentent, à travers un regard sous influence, de faire partager une ambiance graphique teintée d’odeurs et de bruits.

La forêt landaise, telle une mégalopole qui respire, enferme dans un tourbillon de sensations et d’émotions celui qui s’aventure sur ses terres. Elle est atypique, comme toutes les forêts, mais elle a trois atouts : c’est ma forêt, c’est la plus grande d’Europe… et c’est la plus belle ... J’ai essayé d’en témoigner la splendeur et il me sera dorénavant difficile d’en photographier une autre…

Jean Hincker, 2007