LES CAILLOUX DE L'ATLANTIQUE

« Doit-on apporter du sens là où suffit la beauté ?
Enfant, j’ai longtemps conservé dans mon « trésor » un silex jauni ramassé sur les bords de la Loire. J’y voyais une tête de lapin, ses yeux, ses oreilles et même ses dents. Je pensais posséder les restes pétrifiés d’un vrai lapin. Jusqu’au jour où mon père m’a expliqué la nature de mon caillou et les hasards de sa cassure. Mon silex, devenu soudain un banal caprice de la nature, a ce jour-là perdu tout prestige ; il fut bientôt abandonné au bord d’un chemin.
En feuilletant les images de cet album, je me suis souvenu de mon lapin, et je me suis demandé si un regard de géologue sur les belles photographies de Jean Hincker n’allait pas éteindre une part de leur poésie et de leur mystère. Face à ce risque, je me suis fait discret. Des galets en général, je n’évoquerai que la mémoire collective, laissant seul le lecteur face aux singularités naturelles qui lui sont offertes dans ce livre. J’espère ainsi éviter de brider son imaginaire.
La beauté des objets naturels doit-elle se charger de leur mémoire historique et scientifique ? Devant des images de galets, le géologue peut-il être convoqué sans risquer d’affaiblir par son savant commentaire le plaisir esthétique du spectateur ? J’ai posé ces questions au début de ce texte. On me pardonnera de penser que, au contraire, si brève soit-elle quand on la replace dans l’immensité des temps géologiques, la parcelle de l’histoire que l’on peut lire dans un galet accroît singulièrement le plaisir d’esprit éprouvé à contempler sa beauté. Un peu comme devant un paysage, le bonheur d’un randonneur s’augmente à connaître l’architecture géologique qui sous-tend les monts et les vallées qu’il contemple. A la joie de connaître s’ajoute alors la satisfaction de comprendre »… Extraits de la préface du livre « Les cailloux de l’Atlantique ».
Gilbert Boillot,
Ancien professeur des Universités,
géologue des océans.